Bac Pro 2017 : Les sujets de français

Juin 15

Les candidats au bac pro 2017 ont débuté leurs épreuves jeudi 15 juin par le français (durée 2h30)

En voici le sujet :

Objet d’étude : La parole en spectacle

Texte 1

Tous les matins, en se rendant à l’usine dans le train de 6h27, Guylain lit des textes à voix haute.

C’était une page de livre, format 13×20. Le jeune homme l’examina un temps avant de la reposer sur le papier buvard. Peu à peu, le silence se fit dans la rame1. Parfois des « chut » réprobateurs retentissaient pour faire taire les quelques conversations qui peinaient à s’éteindre. Alors, comme tous les matins, après un dernier raclement de gorge, Guylain se mit à lire à haute voix. […]

Tandis que le jour naissant venait s’écraser sur les vitres embuées, le texte s’écoulait de sa bouche en un long filet de syllabes, entrecoupé çà et là de silences dans lesquels s’engouffrait le bruit du train en marche. Pour tous les voyageurs présents dans la rame, il était le liseur, ce type étrange qui, tous les jours de la semaine, parcourait à haute et intelligible voix les quelques pages tirées de sa serviette2. Il s’agissait de fragments de livres sans aucun rapport les uns avec les autres. Un extrait de recette de cuisine pouvait côtoyer la page 48 du dernier Goncourt3, un paragraphe de roman policier succéder à une page de livre d’histoire. Peu importait le fond pour Guylain. Seul l’acte de lire revêtait de l’importance à ses yeux. Il débitait les textes avec une même application acharnée. Et à chaque fois, la magie opérait. Les mots en quittant ses lèvres emportaient avec eux un peu de cet écoeurement qui l’étouffait à l’approche de l’usine.

Jean-Paul Didierlaurent, Le Liseur du 6h27, 2015.

1 La rame : ensemble de wagons du train de banlieue.

2 Serviette : sacoche, petit sac.

3 Prix Goncourt : prix littéraire attribué tous les ans à un roman.

Texte 2

Yvon Grimbert, gardien dans la même usine que Guylain (texte 1), a pour habitude de lire à voix haute quelques vers aux chauffeurs-livreurs qui se présentent à l’entrée.

La caisse sur ses genoux, le gardien passa en revue le répertoire à sa disposition devant le regard courroucé1 du chauffeur. La moustache frémissante de contentement, Yvon se saisit de la fiche n°24 intitulée Retards et châtiments. Tout en réajustant sa cravate d’une main experte, il jeta un bref coup d’oeil au texte, le temps de s’imprégner du rôle. Il lissa du plat de la main sa chevelure argentée, s’éclaircit la voix d’un ultime raclement de gorge. Alors, Yvon Grimbert, ancien élève du cours Alphonse Daubin de Saint-Michel-sur-l’Ognon, promotion de 1970, abonné au Français2 depuis 1976, tira une première salve :

Il est passé midi, voyez la grande horloge.

Déjà sur la demie, la grande aiguille se loge !

Quittez cette arrogance, rengainez ce dédain,

Il reste une petite chance que je vous ouvre enfin.

L’hébétude3 qui se dessinait sur le visage du chauffeur avait balayé toute trace de colère. Son menton persillé d’une barbe naissante s’affaissa au fur et à mesure qu’Yvon scandait le quatrain de sa voix puissante. Guylain sourit. C’était bien un nouveau. Ça leur faisait souvent ça la première fois. L’alexandrin les prenait de court. Les rimes leur tombaient dessus, les asphyxiant aussi sûrement qu’une volée de coups portée en plein plexus. « C’est droit comme une épée, un alexandrin, lui avait un jour expliqué Yvon, c’est né pour toucher au but, à condition de bien le servir. Ne pas le délivrer4 comme de la vulgaire prose. Ça se débite debout. Allonger la colonne d’air pour donner souffle aux mots. Il faut l’égrener5 de ses syllabes avec passion et flamboyance, le déclamer comme on fait l’amour, à grands coups d’hémistiches, au rythme de la césure. Ça vous pose son comédien, l’alexandrin. Et pas de place pour l’improvisation. On ne peut pas tricher avec un vers de douze pieds, petit. » À 59 ans, Yvon était passé maître dans l’art de les décocher6.

Jean-Paul Didierlaurent, Le Liseur du 6h27, 2015.

1 Courroucé : irrité, fâché.

2 Français : nom souvent donné au théâtre de la Comédie française.

3 Hébétude : étonnement.

4 Délivrer : prononcer.

5 Égrener : articuler clairement.

6 Décocher : envoyer le texte par la voix comme une flèche.

Texte 3 :

Paradoxe sur le comédien est un ouvrage de réflexions sur le théâtre écrit par Denis Diderot (1713-1784), et publié après la mort du philosophe. Cet extrait traite plus particulièrement du jeu de l’acteur.

Tout son talent consiste, non pas à se laisser aller à la sensibilité comme vous le supposez, mais à imiter si parfaitement tous les signes extérieurs du sentiment que vous vous y trompiez. Les cris de sa douleur sont notés dans sa mémoire, les gestes de son désespoir ont été préparés ; il sait le moment précis où les larmes couleront.

Ce tremblement de la voix, ces mots suspendus, étouffés, ce frémissement des membres, ce vacillement des genoux… Pure imitation, leçon apprise d’avance, singerie sublime dont l’acteur a la conscience présente au moment où il l’exécute, dont il a la mémoire longtemps après l’avoir exécutée, mais qui n’effleure pas son âme, et qui ne lui ôte, ainsi que les autres exercices, que la force du corps. Le socque ou le cothurne déposé1, sa voix est éteinte, il sent une extrême fatigue, il va changer de chemise et se coucher : mais il ne lui reste ni douleur, ni trouble, ni affaissement d’âme : c’est vous, auditeurs, qui remportez toutes ces impressions. L’acteur est las, et vous êtes tristes ; c’est qu’il s’est démené2 sans rien sentir, et que vous avez senti sans vous démener. […]

Réfléchissez, je vous prie, sur ce qu’on appelle au théâtre être vrai ? […] C’est la conformité des signes extérieurs, de la voix, de la figure, du mouvement, de l’action, du discours, en un mot de toutes les parties du jeu, avec un modèle idéal ou donné par le poète ou imaginé de tête par l’acteur. Voilà le merveilleux.

Diderot, Paradoxe sur le comédien, édition du manuscrit de Naigeon.

1 Le socque ou le cothurne déposé : chaussures de scène du comédien, enlevées après la représentation.

2 Se démener : faire beaucoup d’efforts.


Évaluation des compétences de lecture (10 points)

Présentation du corpus

Question n°1 : Présentez le corpus en trois à six lignes en montrant son unité et ses différences. (3 points)

Analyse et interprétation

Question n°2 : Textes 1 et 2. Comment ces deux textes mettent-ils en scène la parole des personnages de Guylain et d’Yvon Grimbert ? (4 points)

Question n°3 : Textes 2 et 3. Quels effets produit la parole sur celui qui parle et sur ceux qui écoutent ? Justifiez votre réponse. (3 points)

Évaluation des compétences d’écriture (10 points)

Selon vous, comment les mises en spectacle de la parole (théâtre, cinéma, concerts, conférences…) font-elles naître des émotions ?

Vous répondrez à cette question, dans un développement argumenté d’une quarantaine de lignes, en vous appuyant sur les textes du corpus, sur vos lectures de l’année et sur vos expériences de spectateurs.

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