Les stéréotypes filles-garçons prennent leurs racines « très tôt », avant l’entrée à l’école. Ils se formeraient avant l’âge de trois ans, selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) remis jeudi à la ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem. Brigitte Grésy et Philippe Georges, les deux auteurs, révèlent que les métiers de la petite enfance sont déjà marqués par « une forte division sexuelle »
Toutes les politiques de promotion de l’égalité butent sur un obstacle majeur, la question des systèmes de représentations qui assignent hommes et femmes à des comportements sexués, dits masculins ou féminins, en quelque sorte prédéterminés. Ces systèmes de représentation se forment tôt dans la vie et il apparaît donc important d’examiner comment ils s’élaborent, dans les modes d’accueil de la petite enfance.
Les conditions d’une politique d’égalité entre filles et garçons dans la petite enfance : un double constat
Les savoirs, déjà peu nombreux, s’opposent parfois. Deux approches principales ont été retenues par la mission :
- Les théories liées à la psychologie du développement et l’approche cognitiviste : c’est par l’apprentissage social que se fabrique « l’engendrement social » des filles et des garçons.
- L’approche psychanalytique dans le fondement des représentations de soi et de l’autre : c’est un enjeu central pour l’ enfant que de s’ entendre expliquer que les petites filles et les petits garçons ne sont pas biologiquement faits pareils, tout en les présentant à égalité de puissance et de frustration, à égalité d’incomplétude et d’interdépendance.
Trois données à prendre en compte :
- Une forte rigidité des enfants par rapport au respect des rôles de sexe, dans la mesure où ils pensent que leur sexe et celui d’autrui sont déterminés par le contexte social (apparence, jouets, activités) ;
- Une dissymétrie entre filles et garçons dans les pratiques d’apprentissage de l’identité sexuée : décourager les enfants d’adopter des comportements stéréotypiques du sexe opposé est une pratique beaucoup plus courante quand il s’agit des garçons. Une fille « garçon manqué » pose moins problème qu’un garçon qui aurait l’air d’une fille ;
- La question de la mixité dans les lieux d’accueil
La simple présence d’une très grande majorité de femmes auprès des petits enfants constitue déjà en soi un apprentissage pour les enfants de la division sexuée des rôles sociaux. Les métiers de la petite enfance sont marqués par une forte division sexuelle: d’un côté l’attribution aux professionnelles de la petite enfance de caractéristiques féminines, de l’autre, l’attribution aux professionnels masculins de rôles traditionnels dévolus aux hommes (fonction d’autorité).
En revanche, la mixité de l’accueil des enfants, indispensable à l’apprentissage social, renforce les dynamiques relationnelles entre les deux sexes car la notion même de comportements masculins et féminins ne prend sens que dans un contexte mixte.
Des limites fortes à l’action publique malgré d’importants enjeux
La dispersion de la population cible : Ce ne sont que 30 % des enfants qui sont accueillis par un intervenant professionnel de la petite enfance: 18 % par des assistantes maternelles, 10 % dans des établissements, 2 % par une école maternelle.
Une hétérogénéité des qualifications : on peut distinguer trois ensembles de professionnel(le)s : les assistantes maternelles (300 000 environ), les auxiliaires de puériculture (35 500 à 41 000 personnes, 36 % des effectifs), les puéricultrices (4 % des effectifs, spécialisation d’un an des études d’infirmière), enfin les éducateurs(trices) de jeunes enfants (15 800 à 17 400 personnes, 16 % des effectifs, formations de trois ans).
La diversité des gestionnaires : ce sont des collectivités territoriales, pour 67 %, puis les associations (29 %), dont 12 % sont des associations de parents.
Les difficultés d’exercice des métiers de la petite enfance : la vie quotidienne dans les crèches se heurte à de nombreuses difficultés : sujétions physiques, contraintes psychologiques, tensions sur la gestion des ressources humaines.
L’existence d’autres agents de socialisation massifs : la période préscolaire est nichée au sein d’autres systèmes de socialisation que sont au premier chef les parents mais aussi les médias et la société entière.
La lutte contre les stéréotypes revêt un caractère d’obligation au regard de la législation, notamment la Convention internationale des droits de l’enfant.
Un bilan déroutant : invisibilité du thème dans les formations et contradictions dans les pratiques
Ni la formation initiale théorique, ni les stages pratiques, ne donnent aujourd’hui aux professionnels de la petite enfance l’occasion d’aborder la question des représentations du masculin et du féminin.
Une absence de prise en compte des systèmes de représentation sexués chez les professionnels (textes et discours) et des interactions et des activités avec les enfants qui contredisent la neutralité affichée.
Les interactions des professionnels avec les enfants
Motricité : à partir des observations menées, les petites filles sont moins stimulées, moins encouragées dans les activités collectives tandis que leur apparence est davantage l’objet des attentions des adultes. En revanche, les préoccupations pour les capacités physiques (motricité, déplacement, maîtrise de l’espace) sont plus prononcées quand il s’agit des garçons.
Gestion des émotions : au cours d’échanges verbaux, les professionnels interrompent plus fréquemment les filles que les garçons, et les garçons ont davantage d’interactions verbales avec eux. Les filles sont plus habituées que les garçons à discuter de leurs états émotionnels avec les adultes. La seule émotion davantage tolérée chez les garçons est la colère.
Les activités et les jeux
Des études font état d’un important déséquilibre dans la participation des filles à certaines activités telles que la construction, les cubes, le sable ou l’escalade. En revanche, les filles prennent davantage part aux jeux de rôle que les garçons.
Les port et usage du corps
Les deux composantes habituelles d’une pratique sportive, le « beau à voir » d’un côté et l’exploit de l’autre sont attribuées à un sexe déterminé.
Des choix différents : sports d’équipe pour les garçons, sports plutôt individuels pour les filles.
Les vêtements
L’accent est mis sur l’esthétique d’un côté, sur l’autonomie et l’agilité de l’autre.
Les vêtements féminins pour très jeunes enfants, comme les robes et les jupes, sont peu propices à l’apprentissage de la marche.
La dictature du rose et du bleu : il faudra attendre jusqu’à la fin des années 70 pour que le bleu s’impose comme la couleur du petit garçon en Occident. L’avènement de la poupée Barbie en 1959 et de son imagerie rose princesse a contribué à ancrer, de son côté, la dictature du rose dans les esprits.
Les jouets
Les jouets des garçons sont plus nombreux et diversifiés que ceux des filles et sont associés à l’extérieur.
Les jouets pour les filles, comme les dînettes, poupées, magasins, renvoient davantage aux jeux de rôles dans lesquels les enfants vont plutôt acquérir des compétences verbales. Les jouets pour garçons comme les jeux de construction permettent davantage aux enfants d’acquérir des compétences spatiales, mathématiques, analytiques et scientifiques.
La littérature et la presse enfantines : le masculin l’emporte sur le féminin
Un nombre plus important de personnages masculins
Sur 78 % des couvertures de livres pour enfants figure un personnage masculin.
Le masculin comme universel : les personnages masculins sont peu décrits par des attributs de leur genre (la barbe, une casquette). En revanche, les personnages féminins ne sont décrits qu’à l’aide d’attributs considérés comme propres à leur sexe : traits corporels, vêtements, éléments de coiffure ou d’ornement.
Source : Rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (décembre 2012)